Travail de rue avec
les personnes sans-abri
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Une vie en marge

Parmi les personnes sans-abri que nous accompagnons à Bruxelles, nous comptons des Polonais d’origine présentant des problématiques spécifiques. Le travail de médiation interculturelle Polonaise est possible grâce aux personnes de l’équipe parlant leur langue et/ou ayant les mêmes origines. Les médiatrices et médiateurs nous permettent de passer au-delà des barrières de la langue, qui compliquent souvent l’accès de ce public aux droits, à l'aide et aux soins ainsi que la recherche d'un travail ou, plus généralement, leur intégration dans la société belge.


Notre collègue et médiatrice interculturelle polonaise Magdalena a contribué à la rédaction de cet article pour le magazine polonais Gazetka. En parallèle de l’accompagnement des habitants de la rue polonais, ce travail d’information et de sensibilisation fait partie intégrante des missions de nos médiateurs interculturels.

Octobre. L'heure de pointe matinale dans le métro bruxellois est interrompue par une macabre découverte : le corps d'un homme est retrouvé à la station Porte de Namur, dans le quartier d'Ixelles. Selon les premières conclusions, il s'agit d'une personne sans domicile fixe qui cherchait refuge la nuit dans les couloirs souterrains du réseau de transport. Ce décès isolé nous rappelle brutalement que le problème des sans-abri n'est pas seulement une question sociale relevant de la politique urbaine, mais une question de vie ou de mort que les villes et les États continuent de reconnaître avec retard. 

 

CHIFFRES
Les estimations précises concernant le sans-abrisme dépendent de la définition et de la méthodologie utilisées : recensement dans les refuges, observations ponctuelles dans la rue, registres des services sociaux ou enquêtes auprès des ménages. Malgré ces différences, les données indiquent une augmentation de la population des personnes sans domicile fixe.

Pologne : une enquête nationale réalisée en 2024 a révélé qu'au moins 31 042 personnes étaient en situation de sans-abrisme, dont 80 % d'hommes. Les personnes âgées de moins de 18 ans représentaient 5 % de ce total. On a constaté une augmentation de la proportion de jeunes et une plus grande visibilité du problème en dehors des grands centres urbains. Belgique : les recensements nationaux et régionaux indiquent un total de près de 50 000 personnes sans domicile fixe, dont 9 777 dans la région de Bruxelles-Capitale (y compris les personnes bénéficiant de différentes formes d'hébergement temporaire). À Bruxelles, la partie visible de la population sans domicile fixe (les personnes vivant dans l'espace public) ne représente que la partie émergée de l'iceberg. Europe : des centaines de milliers de personnes, voire plus de 895 000 selon des études approfondies, sont confrontées à la crise du sans-abrisme. Monde : les rapports de l'ONU et les synthèses de recherche donnent des chiffres très variables, allant d'environ 100 millions de personnes sans abri à 1,6 milliard de personnes dépourvues d'un logement « adéquat » (sans accès à des conditions de logement répondant aux normes de sécurité et d'hygiène). 

 

CAUSE
La perte d'un logement est rarement le résultat d'un événement isolé, mais plutôt le résultat de processus économiques, sociaux et sanitaires qui se chevauchent. La hausse des loyers, le nombre limité de logements sociaux et la réorientation du marché vers les locations à court terme augmentent considérablement la pression sur les personnes à faibles et moyens revenus. 

La pauvreté structurelle et l'absence d'aide financière adéquate constituent un élément tout aussi important. La baisse du pouvoir d'achat, l'augmentation du coût de la vie, la précarité de l'emploi (par exemple dans le cadre de contrats à court terme) et l'insuffisance des prestations sociales créent des conditions dans lesquelles les personnes à faibles revenus ne sont pas en mesure de se loger. Les données de l'Office central des statistiques indiquent que l'augmentation du nombre de personnes bénéficiant de l'aide sociale en Pologne est corrélée à la hausse du coût de la vie et à l'appauvrissement d'une partie de la population. Dans la pratique, cela signifie que de nombreuses familles vivent au bord de la perte de leur logement et que même une crise financière mineure – perte d'emploi, maladie ou nécessité de rembourser une dette – peut déclencher une spirale menant à l'itinérance

Les crises soudaines – expulsions, divorces, violence domestique, accidents fortuits – constituent un autre groupe de causes. Les rapports municipaux montrent que de nombreux cas de sans-abrisme sont de nature situationnelle. Les personnes sortant de prison, d'hôpitaux psychiatriques ou de centres de traitement de la toxicomanie ne bénéficient souvent d'aucune aide pour se loger, ce qui conduit à leur ré-exclusion. Les victimes de violence domestique, quant à elles, décident souvent de fuir sans avoir d'autre endroit où aller. 

Le sans-abrisme est également le résultat de facteurs systémiques et politiques. Ces dernières années, les migrations et les crises liées aux réfugiés ont eu un impact significatif sur la situation du logement dans de nombreux pays européens, en particulier après 2022. L'afflux de population a accru la pression sur les marchés immobiliers locaux, tandis que les investissements dans le logement social restent insuffisants. 

Enfin, il convient de souligner le rôle de la santé. Les problèmes de santé mentale, les addictions et les maladies somatiques concomitantes rendent très difficile le maintien d'un logement, d'un emploi et de relations sociales. Les personnes souffrant de troubles mentaux ne sont souvent prises en charge par le système d'aide sociale qu'une fois en situation de crise profonde, et le manque d'intégration entre les services de santé et l'aide sociale les empêche de se stabiliser par elles-mêmes. 

 

CONSÉQUENCE
Le sans-abrisme est associé à une détérioration dramatique de l'état de santé et à une mortalité accrue. L'absence d'un endroit fixe où dormir, l'impossibilité de maintenir une bonne hygiène, la malnutrition et l'exposition aux intempéries font que les personnes vivant dans la rue sont plus souvent atteintes de maladies respiratoires, d'infections cutanées, de maladies cardiovasculaires ou de maladies chroniques telles que le diabète et l'hypertension. L'espérance de vie moyenne des personnes sans domicile fixe est inférieure de plusieurs années, voire de plus de vingt ans dans certains pays, à celle de la population générale. Le fait de ne pas avoir de toit augmente le risque d'hospitalisation et de surdose de substances psychoactives, et le manque d'accès à des soins médicaux réguliers fait que les maladies sont diagnostiquées trop tard ou ne sont pas traitées du tout. 

La question de la sécurité et de la stigmatisation est également importante. Les personnes qui passent la nuit dans des abris temporaires sont souvent victimes de violences physiques et psychologiques, de vols et d'abus de la part d'autres personnes se trouvant dans une situation similaire. Vivre dans l'espace public comporte des risques permanents. De nombreuses villes européennes ont adopté des réglementations limitant la présence des sans-abri dans certains lieux publics (par exemple, interdiction de dormir dans les parcs, les gares ou les transports publics). Au lieu de résoudre le problème, ce type de mesures renforce le processus d'exclusion, transformant les personnes en situation de crise en « citoyens invisibles » privés du droit à l'espace commun. La stigmatisation rend également difficile le retour à la société : les personnes sans domicile fixe sont confrontées à la méfiance des employeurs, des propriétaires de logements ou même des services publics, ce qui leur ferme la voie à la réintégration. 

La situation des enfants et des familles sans domicile fixe est particulièrement dramatique. En Belgique, selon les données de l'organisation Infirmiers de Rue, les enfants représentent près de 25 % de la population en situation de sans-abrisme. Les enfants qui grandissent dans cet environnement souffrent souvent de traumatismes et de stress chronique, ce qui augmente le risque de reproduire le cycle à l'âge adulte. Le manque d'accès à l'éducation, aux soins de santé et à un environnement éducatif sûr a des conséquences sociales à long terme qui dépassent la dimension individuelle du problème.

Les personnes en situation irrégulière se trouvent dans un cercle vicieux : sans argent, elles ne peuvent pas trouver de logement à louer ; sans logement, elles n'ont pas d'adresse officielle ; sans adresse officielle, elles ne peuvent pas s'inscrire auprès de la mairie locale, ce qui constitue la première étape vers la légalisation de leur séjour ; sans papiers officiels (perdus ou volés), elles ne peuvent pas trouver de travail ; sans travail, elles n'ont pas d'argent... Ajoutons à cela les problèmes liés à l'abus d'alcool et les problèmes de santé, et il devient extrêmement difficile pour les sans-abri polonais de s'en sortir. Le seul droit dont bénéficient ces personnes est l'aide médicale d'urgence (AMU). Cependant, même celle-ci n'est pas facile à obtenir : les procédures préliminaires sont souvent nombreuses et complexes. En outre, l'AMU ne couvre pas une série de traitements indispensables, tels que les soins après un sevrage alcoolique.

Depuis plusieurs années, DIOGENES développe un projet de médiation interculturelle. Dans une optique d'inclusion sociale, ce projet répond en particulier aux besoins des personnes sans domicile fixe qui sont confrontées à des barrières socio-économiques, linguistiques et/ou culturelles. Les travailleurs sociaux rencontrent quotidiennement un grand nombre de Roms et de Polonais.

L'équipe DIOGENES, en particulier grâce à son personnel polonais, soutient et aide les sans-abri de cette communauté à accéder à leurs droits et aux soins de santé. À cette fin, nous établissons de nombreux contacts avec des partenaires clés : le consulat de la République de Pologne (délivrance de passeports, etc.), Poverello (hébergement dans des refuges et accès à des logements), Barką (retour volontaire en Pologne pour s'installer dans un environnement local), les travailleurs de rue de la commune de Saint-Gilles, La Fontaine (soins de base et hygiène) et les hôpitaux Iris (désintoxication, etc.).

 

À LA RESCOUSSE
Les prévisions concernant le phénomène des sans-abri ne sont pas optimistes. Le risque de perdre son emploi, la pression inflationniste persistante et la pénurie de logements bon marché entraînent une augmentation du nombre de personnes menacées de perdre leur toit.

Face au sans-abrisme, la responsabilité n'incombe pas uniquement aux institutions publiques. Même si les actions individuelles ne peuvent remplacer les réformes systémiques, elles peuvent avoir un impact réel sur la vie d'une personne en particulier. L'étape la plus importante consiste à voir l'être humain dans l'individu : une conversation, de l'intérêt, des gestes simples qui brisent le mur de l'invisibilité sociale. 

Si vous rencontrez une personne dormant dans la rue, il est important de lui proposer votre aide de manière sûre et digne : offrez-lui un repas chaud, une boisson, des vêtements et, en hiver, une couverture ou une veste chaude. Il est tout aussi important d'orienter les personnes dans le besoin vers les structures d'aide locales : foyers d'hébergement, soupes populaires, bains publics ou centres médicaux. De nombreuses villes disposent de numéros d'urgence où l'on peut signaler la présence d'une personne sans abri vivant dans des conditions dangereuses. Les personnes qui souhaitent s'engager davantage peuvent soutenir les organisations non gouvernementales par le biais du bénévolat, de collectes de dons matériels ou financiers. Même les petits gestes, comme acheter un ticket de transport public, aider à remplir un formulaire administratif ou discuter des possibilités d'hébergement, peuvent avoir une importance capitale pour quelqu'un. L'aide individuelle a un double sens : non seulement elle soutient une personne en situation de crise, mais elle brise également l'indifférence sociale en rappelant que le sans-abrisme n'est pas un état permanent, mais une situation dont on peut sortir avec un soutien approprié.

N'oublions pas que le sans-abrisme n'est pas le destin d'un individu, mais la honte d'une communauté qui a détourné le regard.



L'article dans la version polonaise est disponible ici.